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Entre ayatollah et World Company Ceux qui écriront l'histoire des idées à la fin du xxe siècle choisiront peut-être, pour en marquer les tournants, deux textes écrits par des Américains.

Le premier est un article de Francis Fukuyama paru à l'été 1989, intitulé La fin de l'histoire, et qui annonçait, avec la déroute des idéologies collectivistes, l'avènement d'un monde pacifié se convertissant à la démocratie et à l'économie de marché. Le second est ce remarquable essai de Benjamin Barber, qui réfute au passage les idées de Fukuyama, mais va bien au-delà.

Les oppositions idéologiques qui ont marqué la guerre froide, dit Barber, n'ont fait que masquer pendant quelques décennies un clivage beaucoup plus profond, et qui réapparaît aujourd'hui avec violence, entre universalisme et particularisme. La première tendance, baptisée "McWorld", recouvre à la fois l'uniformisation des modes de vie (McDo, Coca-Cola, la "culture rock", etc.), la transmission universelle et instantanée des messages (Internet), la globalisation de l'économie. La seconde, désignée sous le nom de "Djihad", n'est pas représentée seulement par l'intégrisme islamique, mais par "l'ensemble des forces qui oeuvrent à un renforcement des particularismes ethniques, religieux ou culturels". Ces deux tendances antagonistes sont également néfastes et menaçantes. Le procès de Djihad étant plus facile à instruire (terrorisme, purification ethnique, mafia...), Barber insiste surtout sur celui de McWorld.

Exemples à l'appui, il dénonce l'assèchement des cultures face au rouleau compresseur des films, émissions de télévision, parcs à thèmes, musiques, modes vestimentaires et alimentaires, imprégnés d'une "vidéologie" qui trouve sa source aux Etats-Unis. La puissance du secteur américain de la communication est d'autant plus redoutable, dit-il, qu'elle se concentre en monopoles privés, intégrés verticalement depuis l'édition jusqu'à la diffusion d'images en passant par la maîtrise des canaux. On notera que cet excellent plaidoyer pour l'"exception culturelle" française pourrait servir dans les discussions commerciales entre l'Europe et l'Amérique, puisque Bill Clinton s'est déclaré lecteur enthousiaste du livre de Barber...

Tout en se combattant, McWorld et Djihad se renforcent mutuellement: les intégristes de tout bord ont beau jeu de dénoncer le matérialisme ou la dépravation colportés par McWorld, tandis que ce dernier justifie son influence envahissante comme une forme de lutte contre l'obscurantisme et le repli sur soi. A tort, car la puissance de McWorld n'est au service d'aucune valeur autre que la recherche du profit: contrairement aux illusions qui ont suivi la fin de la guerre froide, dit Barber, la conversion de beaucoup de pays à l'économie de marché n'est nullement un gage de progrès vers la démocratie.

Dans cette lutte, c'est la démocratie, justement, qui est prise en étau - d'autant plus dangereusement que les Etats-nations ont tendance à se déliter, et que, dans la plupart des pays développés, la politique n'est plus un objet de respect. Existe-t-il une issue pour échapper au choix, évoqué par Régis Debray, entre "l'ayatollah local et Coca-Cola"? Barber jette en quelques pages, à la fin du livre, des idées sur une "société civile mondiale" engagée à la fois dans l'action locale et dans une communication planétaire, mais on sent bien que lui-même n'y croit pas beaucoup... --Gérard Moatti-- -- L'Expansion








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